COVID-19 : point sur la thérapeutique
Stéphanie Lavaud
6 août 2020
France – Six mois après le début de la pandémie, et moults débats, controverses – et même guerre des clans – autour des médicaments susceptibles d’être efficaces contre la Covid-19, quelles sont les thérapeutiques utilisées actuellement en ambulatoire et à l’hôpital aux différents stades de la pathologie, ou tout du moins reconnues officiellement ? Dans son avis du 27 juillet, le Conseil scientifique mis en place dans le contexte de la crise COVID-19 fait le point* [1].
Hydroxychloroquine, remdésivir, tocilizumab, oxygénothérapie…Quatre mois après le pic de la pandémie en France, malgré une intense recherche clinique et alors que la pandémie se poursuit dans le monde, « nous n’avons pas de médicament avec une activité virale directe ayant fait la preuve scientifique de son efficacité » considère le Conseil scientifique, un point « particulièrement important dans l’hypothèse d’une deuxième vague pour organiser au mieux la prise en charge des populations ayant une forme sévère et réduire ainsi la durée d’occupation des lits en réanimation et la mortalité globale » ajoute-t-il.
*A noter que les membres du Conseil scientifique ayant des liens d’intérêts avec les industries pharmaceutiques ont été mis en débord.
Quid de la prise en charge des formes bénignes ?
Que propose-t-on aux patients qui souffrent d'une maladie bénigne (plus 95% des patients atteints de COVID-19) et ne justifient pas de soins à l’hôpital ? Aujourd’hui, le standard international repose sur « une prise en charge symptomatique, une information précise sur les signes devant amener à consulter en urgence et un suivi médical afin de détecter des symptômes qui nécessiteraient une hospitalisation ».
Pour certains patients cependant, notamment ceux à haut risque de forme sévère (âge avancé, maladies chroniques sévères comme insuffisance rénale chronique sévère, insuffisance respiratoire chronique, insuffisance cardiaque, etc.), « une hospitalisation se discute au cas par cas pour surveillance rapprochée ».
Selon le Pr Jean-François Delfraissy et ses collègues : en dépit d’essais cliniques testant des traitements visant à éviter l’aggravation, « aucune molécule n’a montré la moindre preuve d’efficacité à ce stade », il s’agit en effet de patients « pour lesquels le bénéfice attendu d’un traitement est faible (évolution spontanément favorable dans > 95% des cas) ».
Quid des formes sévères ?
Les formes sévères (moins de 5% des patients infectés par le virus SARS-CoV-2) bénéficient, elles, d’une prise en charge hospitalière en service conventionnel. Ces patients nécessitent un support en oxygène et parfois un support ventilatoire.
Fait important, comme plusieurs études, notamment françaises, l’ont montré : il semble aujourd’hui important « de retarder au maximum l’utilisation de la ventilation mécanique invasive (intubation) chez ces patients ». En revanche, la surveillance doit être rapprochée afin d’adapter le support en oxygène et ventilatoire aux besoins qui, comme en ont témoigné les hospitaliers, peuvent évoluer très rapidement.
Parmi les éléments qui ont montré scientifiquement une efficacité dans la prise en charge de ces patients, le Conseil scientifique cite :
- L’utilisation de corticoïdes (dexaméthasone), traitement anti-inflammatoire qui permet de diminuer la mortalité chez les patients nécessitant un support en oxygène selon l’essai clinique randomisé contrôlé Recovery , et dont l’intérêt semble faire l’unamité.
- L’utilisation de tocilizumab (traitement anti récepteur de l’interleukine-6) « qui semblerait efficace chez les patients nécessitant plus de 3 litres/minute d’oxygène dans l’essai français CORIMUNO en cours de publication même si ces résultats doivent être confirmés par des études de plus grande taille. La place exacte de ce traitement et son association ou non avec les corticoïdes reste à déterminer » écrit le Conseil scientifique. La molécule avait suscité un emballement médiatique, suite à la publication prématurée des résultats de plusieurs études françaises, et à une publication annoncée comme imminente, mais toujours attendue à ce jour.
- Une anticoagulation par héparine qui permet de diminuer le risque de thrombose et d’embolie (standard de soins pour les maladies inflammatoires sévères similaires). Celle-ci semble admise par tous.
En ce qui concerne le traitement antiviral :
- Remdesivir : « il semble accélérer le temps de récupération mais il n’a à ce jour pas montré d’impact sur mortalité chez les patients traités par rapport aux patients non traités par remdesivir (essai randomisé contrôlé avec 1063 patients). Ce traitement est toujours en évaluation dans des essais cliniques malgré une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) conditionnelle de l’European Medicines Agency (EMA) (essai Solidarity/Discovery) » indique le comité d’experts. Signalons l’existence attestée par plusieurs équipes d’effets indésirables hépatiques et rénaux qui incite à la prudence.
Quid des formes critiques ?
La prise en charge en réanimation des patients présentant des formes critiques de la maladie (environ 15 à 25% des patients COVID-19 hospitalisés) nécessite le recours à une ventilation mécanique invasive (intubation), voire à une oxygénation extra-corporelle dans les formes les plus sévères.
« La gestion du mode de ventilation et des différentes techniques associées est particulièrement importante chez ces patients ».
Parmi les éléments essentiels de la prise en charge de ces patients extrêmement sévères, le Conseil signale :
- L’utilisation des corticoïdes (dexaméthasone) qui avait déjà été encouragée par un essai clinique randomisé dans les pneumopathies très sévères (hors COVID publié en février 2020) montrant une diminution de la durée d’intubation et de la mortalité. Ceci a été confirmé pour les pneumopathies sévères COVID-19 dans l’essai Recovery.
- Une anticoagulation par héparine qui permet de diminuer le risque de thrombose et d’embolie (standard de soins pour les maladies inflammatoires sévères similaires).
- Le traitement antiviral par remdesivir est toujours en évaluation dans cette population dans les essais clinique malgré une AMM conditionnel de l’EMA (essai Solidarity/Discovery) (voir plus haut).
Quels traitements sont actuellement écartés ?
Pour le Conseil scientifique, si « la recherche clinique a permis d’apporter des réponses thérapeutiques à différents stades de la maladie, elle a également permis d’écarter un certain nombre de molécules », dont l’hydroxychloroquine.
- Hydroxychloroquine : « Après les observations initiales de cohortes non randomisées suggérant une efficacité de l’hydroxychloroquine, seule ou en association, l’immense majorité des essais randomisés réalisés en France, eu Europe, aux Etats-Unis, au Brésil ou dans l’essai OMS, n’a pas retrouvé cet effet » écrit le Conseil scientifique. En prophylaxie (après exposition à risque au SARS-CoV-2), un essai randomisé contrôlé réalisé au Canada et aux États-Unis chez 821 patients n’a trouvé aucun effet de l’hydroxychloroquine. Par ailleurs, les auteurs ont noté des effets indésirables plus importants chez les patients ayant reçu avec l’hydroxychloroquine que chez ceux recevant un placebo (40% chez les patients recevant ce traitement contre 17% pour les patients recevant le placebo). Notons que cet essai qui n’avait pas manqué d’être critiqué sur le plan méthodologique.
« Un autre essai randomisé contrôlé réalisé à Barcelone semble aller dans le même sens : il n’a trouvé aucun effet de l’hydroxychloroquine en prévention sur un total de plus de 2 300 patients (résultats communiqués par voie de presse, en attente de publication) », écrit le comité d’experts. Chez des patients hospitalisés, avec des formes modérées, un essai randomisé réalisé au Brésil et récemment publié dans le NEJM n’a montré aucun effet de l’hydroxychloroquine ou de l’hydroxychloroquine + azithromycine. Chez des patients hospitalisés, avec des formes sévères ou critiques de la maladie, 3 essais randomisés contrôlés de grande taille ont communiqué des résultats ne montrant aucune efficacité de l’hydroxychloroquine : ce sont les essais DisCoVeRy en France, Solidarity (essai international de l’OMS) et Recovery au Royaume-Uni, ajoute-t-il. Néanmoins, à ce jour, aucun de ces trois essais n’a été publié dans sa totalité.
- Lopinavir/ritonavir : Chez des patients hospitalisés avec une forme sévère ou critique de la maladie, 4 essais randomisés contrôlés n’ont pas retrouvé d’efficacité de l’administration lopinavir/ritonavir : l’essai DisCoVeRy en France qui a arrêté ce bras thérapeutique, l’essai Solidarity de l’OMS, l’essai Recovery du Royaume-Uni et un essai conduit en Chine. L’essai DisCoVeRy en France a par ailleurs permis de montrer un signal de toxicité avec des insuffisances rénales aiguës qui seraient plus fréquentes chez les patients traités par lopinavir/ritonavir que dans le groupe standard de soins.
-Sarilumab : Cette molécule anti-inflammatoire qui bloque l’action des récepteurs de l’interleukine 6 a été évaluée dans un essai clinique industriel (Sanofi/Regeneron) aux États-Unis. Dans un communiqué de presse, les firmes ont annoncé l’arrêt de l’essai du fait de l’absence d’efficacité du médicament retrouvée et d’effets indésirables sévères plus fréquents chez les patients traités par sarilumab.
Le Conseil scientifique apporte deux précisions à ce chapitre sur la thérapeutique.
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Il précise « qu’on manque de données sur la tolérance et l’efficacité (ou la non efficacité) des traitements déjà cités, utilisés de façon prophylactique/préventive sur des sujets et population à risque » et que plusieurs essais sont en cours.
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En prévision d’une éventuelle seconde vague, il recommande fortement aux équipes de recherche clinique et translationnelle d’anticiper de futurs essais thérapeutiques en mettant en place « le plus tôt possible les protocoles thérapeutiques avec de nouvelles molécules et éventuellement des associations de molécules avec un petit nombre d’essais thérapeutiques stratégiques pour les formes modérées ambulatoires mais aussi sévères et graves » précise le Conseil. « Préparés et discutés en septembre, ils seront opérationnels en novembre », date qui semble prévaloir pour une potentielle reprise intensive de l’épidémie.